La matinale du 10 octobre

Tous les matins, un des menus plaisirs que s'accordait ma mère dans son quotidien de femme et mère au foyer était de lire le journal. C'était le boulanger qui le lui portait. Il arrivait en trombe dans son Citroën Type H, tellement vite qu'on se disait tous les jours "Cette fois, il finit sur deux roues!" en espérant que ça n'arriverait jamais, parce que maman n'aurait pas son journal.

Elle s'installait à la table de la cuisine, sur le coin, en tirant sa chaise pour juste poser une fesse. Il ne fallait pas qu'elle ait l'air de s'alanguir. Juste le temps d'un café, du quignon de la baguette fraîche beurré et les quelques pages du quotidien du coin.

Je la regardais faire, sans bruit, le mercredi, en me disant qu'elle le faisait les autres jours de la semaine sans nous, dans le silence relatif de notre appartement de fonction, pendant que mon père travaillait et que nous étions à l'école.

Je me demande encore aujourd'hui ce qu'elle retenait de sa lecture. Elle n'en parlait jamais. Peut-être qu'elle n'avait rien à en dire, qu'elle estimait que son analyse n'était pas utile ou bien tout simplement qu'elle voulait garder ces instants pour elle seule.

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