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On n'a que ce mot à la bouche: inflation. Celle qui touche tout le monde. Enfin. Presque.

Problèmes de riches

Les nouveaux commerçants

Ce samedi-là, alors que le soleil se défilait lentement d'une courte journée de travail, je n'avais aucune envie d'aller faire des courses. Pourtant, placards et frigo criaient famine dans un écho infernal. Le demi de mêlée ayant été mis sur la touche par un virus de saison, c'est seule que je m'assieds côté conducteur et me conduis jusqu'aux lieux que j'avais mentalement cartographiés: d'abord, la pharmacie, ensuite le primeur puis le boulanger et enfin, le supermarché pour récupérer la commande passée en ligne côté drive.

"J'aime quand un plan se déroule sans accrocs", me dis-je, satisfaite d'avoir trouvé une place devant chez l'apothicaire puis de prendre mon tour sans attendre.

L'affaire s'est corsée lorsqu'interdite, j'ai dû faire marche-arrière devant la devanture de la maraîchère, qui met la clé sous la porte tous les samedis après-midi.

"PUTAIN MAIS C'EST VRAI BORDEL", me hurlé-je, tout en manœuvrant énergiquement le volant parce que j'étais énervée en direction de la boulangerie.

Un malheur n'arrivant jamais seul, les baguettes qui m'ont été remises n'étaient pas fraîches, entendons qu'elles ne me brûlaient pas les mains que j'avais gelées.

L'honneur se verra sauf lorsque quelques tours de roues plus tard, le préposé aux commandes drive me gratifiera de quelques vignettes supplémentaires pour me faire avoir mes couteaux à steaks plus rapidement qu'à coups de 10 balle de courses la vignette.

Il n'en restait pas moins que je restais sur ma faim en termes de fruits et légumes frais et locaux. C'est donc la mort dans l'âme que je me décide enfin à commettre l'adultère commerçant en allant voir du côté de celui qui vent du frais, du local et du délicieux, comme le vantait sa façade.

"De toute façon, c'est du dépannage, je prends une salade, des carottes, un oignon et un brocoli pour la soupe", me résigné-je, sans conviction.

Quand le bio prend cher

Je comprends que ma chance tourne définitivement le dos à ma liste de courses et mes projets de pitance à peine ai-je posé un de mes deux pieds sur le béton ciré du magasin.

En fait de délicieux marché local de paysans et producteurs de pays, je me retrouvais dans l'antre d'un énième magasin qui vend du bio très cher et pas forcément très bon.

De l'huile essentielle garantie 100% grasse dont l'arôme caractéristique mystique imprègne encore jusqu'à mes cheveux à la motte de terre amoureuse résolument accrochée aux poireaux jetés dans un cageot, je sens le piège se refermer sur mon paiement sans contact.

"Vous arrivez trop tard pour les carottes, j'ai vendu la dernière botte juste avant vous", s'incruste la vendeuse dans mes pensées, dont celle d'avoir envie de déguerpir vite fait de cet ersatz de marché de producteurs locaux.

Mon sourire à peine de circonstance la renvoie derrière sa caisse, alors que s'y avance la cliente qui me précède, la voleuse de botte de carottes.

Je me résigne à me lester d'une batavia à 1,40 euro, aussi fraîche que mes aisselles à cette heure avancée du jour, d'un brocoli déposé dans les choux-fleur agonisants du cageot d'à côté, du fameux oignon rouge plus fatigué que mes cernes et d'une menue courge butternut "en promo" à 4,50 euros le kilo, histoire de faire croire que le bio, c'est ma vie.

Je veux bien que tout soit estampillé bio, la vendeuse, la voleuse et moi exclues, mais l'inflation a bon dos. 

Et la politesse bordel?

C'est parce qu'en plus d'être voleuse, elle était lente, la cliente qui me tournait le dos n'avait pas encore déballé ses emplettes sur le comptoir que je lui suçais déjà la roue en caisse. De son sac en toile de jute aussi âgé que le morceau de tome de brebis suicidaire tout seul dans ce tombeau glacé que je frôle du flanc, elle extrait mille douceurs.

Chocolats, savons, paires de mitaines en mohair, mignonettes de confiture, pains de pâte de coing, le tout du cru, je remarque que tout va par trois dans ses achats.

"Il me faudrait aussi 3 bouteilles de muscat de Noël, j'en vois pas dans le rayon", demande-t-elle sans lever les yeux vers la vendeuse dont je note le contraste saisissant entre sa tenue négligée, son cheveux gras ramassé en queue basse, ses godillots de sécurité et 10 prothèses onglulaires parfaitement posées aux couleurs de Noël. J'ignore pourquoi mais à ce moment précis, j'ai envie de lui faire un shampoing et lui limer les ongles. Il ne faudrait pas qu'elle s'en pète un en remplissant le cageot de carottes.

Cette dernière s'en étonne, il lui semblait pourtant ne pas en avoir vendu après en avoir mis une caisse en rayon hier. 

"Ah mais je n'étais pas là ce matin, peut-être que ma collègue en a passé?" s'interroge-t-elle, en regardant sans espoir de croiser le regard celle qui pourtant, avait posé la question.

"Je vais appeler mon mari, peut-être que c'est lui qui est venu ce matin, il savait qu'on en avait besoin de 3", lui répond-elle tout de même, le combiné déjà à l'oreille.

"Dis, c'est toi qui est passé au bio ce matin acheter le muscat de Noël?", claque-t-elle à son interlocuteur, qui n'a pas l'air de s'en émouvoir, en lui répondant un "Oui, comme tu me l'as demandé ma chérie" aussi diplomate qu'extatique.

Un "TU POUVAIS PAS ME LE DIRE, PUTAIN? JE PERDS MON TEMPS BORDEL!", déchire soudain le silence d'or, inflation oblige.

De part et d'autre de la harpie aisée, une vendeuse statufiée et moi, cliente pétrifiée, qui n'a su que dire "Oh je ne suis pas si pressée, je n'ai pas de carottes de toute façon, ma soupe peut attendre!", en glissant un maladroit clin d'œil dans la précipitation.

Ainsi brisée, la glace rend la parole à la vendeuse, qui annonce 94,50 euros dont lui est redevable la Tina Turner d'opérette.

"Ah ça, faites des gosses! Chaque Noël depuis qu'ils sont partis de la maison, je dois me farcir 3 colis identiques et ça me coûte la peau des fesses, avec l'inflation en plus!", renifle-t-elle en dégainant sa carte bancaire dorée, sans surprise.

"Et encore, sans les 3 bouteilles de muscat ni la politesse", me gardé-je bien de lui hurler à la gueule.

Tag(s) : #Bref
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