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Avoir la gagne ou l'esprit de compétition présente l'avantage de ses inconvénients. Cet état d'esprit peut mener jusqu'au sommet ou bien détruire. C'est selon comment il est inculqué. Si vouloir être la première fait toujours partie de mes priorités, un jour, j'ai perdu le goût de la victoire aux jeux.

L'esprit de compétition

Se faire mettre en boîte

C'était un mercredi après-midi, comme tant d'autres dans l'année scolaire. De ceux où les garçons vont au rugby et les filles à la danse, car on ne mélangeait pas encore les genres dans le sport ni la société à l'époque. Pour une fois, je n'ai pas voulu aller répéter l'enchaînement prévu pour le ballet de fin d'année. "Viens, on y sera toutes, en plus, on pourra danser et y a un concours avec plein de cadeaux à gagner!", m'avait-elle convaincue.

En face de chez moi se dressait un complexe hôtelier fait d'arcades abritant divers commerces de proximité auxquels était accolée une bâtisse imposante. Un néon rouge lézardait la façade. "L'Aventure" désignait la discothèque à la mode qui berçait mes jeudi soirs et perturbait mes nuits du dimanche au lundi.

C'est là qu'un mercredi après-midi par mois, l'établissement ouvrait ses portes non plus aux parents ou aux étudiants mais à leurs rejetons, frères ou sœurs. Au programme, boissons sans alcool, musique et jeux pour enfants exclusivement. Rares étaient les adultes bienvenus.

Voisine des lieux mais déjà exclue, je refusais catégoriquement d'aller "en face" m'amuser. Mais elle avait fini par me persuader de traverser ce parking immense. Au lieu de sentir le guet-apens, je me souviens avoir été flattée qu'elle me demande de l'accompagner.

Le dress-code était simple: venir en tenue extrascolaire. "Maman n'a même pas besoin de m'acheter ou coudre un costume", avais-je pensé, excitée à l'idée d'enfiler ma tenue de danse, à savoir mon justaucorps et mes jambières pour aller danser. En plus elle aurait la même que moi, puisque j'avais fait des pieds et des mains à maman pour qu'elle m'achète "exactement la même qu'elle, comme ça je serais sa préférée".

Maman qui m'avait pourtant mise en garde. "Tu es sûre qu'elle ne va pas encore te jouer un mauvais tour avec son invitation?". Je dévalais déjà les marches de l'escalier, sourde à son instinct maternel.

Sodas et danses à gogo

Lorsque je pénètre le lieu interdit aux parents, elle est déjà là, avec sa cour habituelle. Elle se détache pourtant de ses sbires à couettes pour venir me chercher. Elle me tend la main "Tu es venue, c'est génial, on va pouvoir vraiment s'amuser maintenant! T'as vu, ma mère m'a acheté des paillettes en gel, j'en ai mis dans les cheveux et le cou, ça partira à la douche!". Le décor tantôt sombre, tantôt illuminé au rythme des spots animés par celui de la musique, comme les règles du jeu, étaient établis. On portait peut-être le même costume, mais la meneuse de revue avait son truc en plus. Et c'est autour d'elle que tout le monde s'est mis à danser, pour cette première partie de la fête.

Sur les petites tables rondes et basses, je me souviens précisément des trois bouteilles et assiettes en plastique. Du soda, de la limonade et du jus de fruit que l'on pouvait accompagner de fraises ou bananes en bonbons, ou bien de ces petits gâteaux secs, ronds ou carrés achetés par sacs de 3 kilos. Je me suis jetée sur ces victuailles offertes. Je savais que cela ne se faisait pas, mais le bruit, la foule, les spots et l'appétit coupé par l'excitation au repas de midi avaient eu raison de mon éducation.

Sur la piste, avec elle, nous avons dansé sur tout ce qui faisait bouger en cette année scolaire 83-84: de Jakie Quartz à Jean-Jacques Goldman en passant par la bande originale de Footloose, et notre préférée, Paris Latino, sur laquelle nous avons répété les pas pour le ballet. La tête me tournait, l'émotion me gagnait, à en avoir la nausée. Tout ce qui comptait à ce moment-là, c'était elle, qui me regardait, me faisait tourner autour d'elle et dansait avec moi. Je luttais pour ne pas tanguer ni pleurer. J'étais déjà prise dans ses filets, mais trop grisée pour le réaliser.

Le grand concours

L'heure et demie qui a suivi, j'ai eu le temps de mettre ma tête et mes jambes au repos, l'équipe de la discothèque avait choisi de diffuser un film sur le grand écran blanc descendu du plafond comme par magie, transformant la piste de danse en salle de cinéma. "Trocadéro bleu citron", tel était le titre du long-métrage auquel je n'ai prêté qu'une vague attention, dans les relatifs silence et obscurité des lieux.

Toujours à l'affût de la moindre conversation, du moindre regard ou faits et gestes qui auraient pu me mettre en danger, et parce que ce que font les autres autour de moi m'intéresse toujours plus que ma propre personne, j'ai été captivée par l'agilité et la discrétion dont ont fait montre les animateurs pour installer en douce les éléments nécessaires au concours auquel 12 participants s'étaient inscrits, dont moi.

Lorsque les lumières tamisées nous ont à nouveaux éclairés, nous nous sommes retrouvés au centre d'une arène de jeux. Le défi à relever était parfaitement dans mes cordes. Il s'agissait de reconstituer un puzzle le plus rapidement possible avec un binôme tiré au sort parmi les candidats. Le mien m'était totalement inconnu, mais c'était aussi bien. La rage de vaincre qui m'animait à cet instant avait fait de moi un leader et j'ai immédiatement pris les commandes dès le top départ sifflé. Mon partenaire s'est vite désintéressé de la partie, me laissant le loisir de terminer le puzzle en premier: les fameuses 4 vaches à taches dans un pré. 

Trébucher devant le podium

Je ne me suis plus sentie de joie lorsque j'ai compris que j'allais enfin pouvoir occuper la première place sur un autre podium que celui de l'école. Gagner en jouant représentait le Graal à mes yeux. Juste pour le plaisir, sans autre enjeu que la joie et la célébration en bonne compagnie.

C'est au moment où j'allais lever les bras au ciel en guise de victoire qu'elle s'est approchée de moi. Malgré l'adversité, elle venait me féliciter! J'avais gagné sur tous les tableaux! Et c'est au moment où j'ai vu un éclair de jalousie dans ses yeux que j'ai compris pourquoi elle me rejoignait. Je revois encore son pied venir taper un de ceux de la table sur laquelle mon puzzle tout juste achevé était encore intact. L'instant d'après, les 100 jonchées le marbre froid de la piste de danse.

Aussitôt, elle s'est laissée tomber en me fixant dans sa chute. Ses faux cris de douleur et larmes de crocodile ont immédiatement transféré l'attention de l'assistance de la grande gagnante du concours à la malheureuse perdante blessée. Une fois de plus, elle devenait le centre du monde. Une fois de plus, elle m'en excluait. Une fois de plus, l'injustice faisait sa loi.

Retour perdant

Je suis rentrée en courant, les poings serrés dans les poches de mon anorak. Je ne devais pas pleurer, le maquillage que m'avait fait maman ne devait pas dégouliner sur mes joues. Je devais sourire en rentrant et me réjouir d'avoir passé un super après-midi avec les copines.

Je me suis forcée, ce soir-là, à engloutir le repas qu'elle avait cuisiné. Comme elle était heureuse de me voir avaler bouchée après bouchée de si bon cœur, alors que je lui racontais comment ce moment aurait dû se dérouler. Ce soir-là, j'ai menti ouvertement. Ce soir-là, j'ai dit combien j'avais été heureuse de gagner ce concours de puzzle. "Oui, oui, elle m'a félicitée!" en ai-je rajouté pour faire plus vrai. Pour faire plaisir. Pour tenter de cacher ma honte de m'être une nouvelle fois fait avoir. Pour me persuader que ça n'arriverait plus.

La nuit qui a suivi, juste après m'être réveillée, avoir appelé maman en hurlant et vomi les sodas, les bombeks et le dîner, j'ai pleuré dans ses bras. Chaudement. Longtemps. Jusqu'à en retrouver le sommeil. Maman avait bien sûr compris que tout ça m'était resté sur le cœur et l'estomac. Et qu'il fallait que tout ça sorte.

Le lendemain, elle m'attendait au portail avec ses poissons-pilotes sur les flancs. "Alors, t'as bien digéré ta défaite d'hier? La honte de tout faire tomber! Quelle nulle!" m'a été asséné de plein fouet. La sonnerie a retenti avant même que je n'ose lever les yeux vers elle.

Aussi loin que je me souvienne, je n'ai plus jamais souhaité participer à aucune activité qui impliquait un quelconque concours, tournoi ou compétition que ce soit par la suite. Encore aujourd'hui, je suis très mal à l'aise avec l'idée de jouer. Car je sais que je peux perdre même en gagnant.

À toutes fins utiles

Que vous soyez témoin ou victime de harcèlement scolaire, aujourd'hui, la parole n'est plus considérée comme de la délation. Des moyens sont d'ores et déjà mis en œuvre pour vous accompagner:

👉 https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement Le site du Ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse consacré à la lutte contre le harcèlement scolaire
👉 N° Vert "Non au harcèlement" : 3018 Élèves, parents, professionnels, un numéro vert et une application mobile pour tout renseignement ou signalement. Ce numéro est gratuit, anonyme et confidentiel, disponible 7j/7, de 9h00 à 23h00
👉 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31985 tout savoir sur le harcèlement et les violences scolaires et leurs conséquences

PARLEZ.

Tag(s) : #Harcèlement Scolaire
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